AU BOSQUET DES BAMBOUS
Tháng7-1993
Traduit par Tran Thanh Giao
La rencontre avec une dame américaine au café Truc fut pour moi une grande surprise. Ce soir-là, quand j’étais bien occupé à préparer le dîner, sonna le téléphone. A l’appareil, une voix à l’accent du Nord et qui m’était familière:
- C’est toi, Minh. De moi, Quang!
Je m’écriai:
- Quand est-ce que tu es arrivé?
- Tout juste. Larry, l’écrivain américain et vétéran dans la guerre contre le Vietnam que tu as rencontré d’ailleurs, t’envoie une lettre. Très important! Viens tout de suite au café Truc. Je t’attends.
- Quelle hâte! A dix-neuf heures, entendu?
- Non! Non! Tu dois venir tout de suite. Je t’en expliquerai.
Et il accrocha.
Je laissais le repas à côté, pris ma Honda et l’y accélérais.
Quang m’attendais devant le café. C’est un café assez chic, entouré d’un jardin spacieux où poussent des buissons de sasa pumilas* dont les tronçons d’un jaune d’or avec deux traces vertes courant verticalement. Le soir, les ampoules de forme de piments clignotaient dans le feuillage. Chaque fois que Quang accompagne ses hôtes en ma ville, c’est ici que nous nous rencontrons. Venant vers moi, il me serra la main fermement et me guida à une table ronde posée au dessous d’une touffe de sasa pumilas, près d’un aquarium de poissons à sept couleurs. Surpris, je baissai la tête et saluai une étrangère caucasienne aux yeux bleus dont le visage, avec des rides de l’âge, était si triste, et dont la chevelure était toute blanche. A côté d’elle, était assise une Vietnamienne d’un âge mûr, siplement abillée, dont les yeux sombres sont perdus vers le lointain... Quang me présenta aux deux étrangères:
- ... Madame Wilson que Larry nous confia. Mlle Lê Minh Hiển, la voyante dont sans doute, tu as déjà entendu parler.
Vaguement, je comprenais de quoi il s’agit quand j’entendis le nom de la voyante. Une inquiétude s’emparait de moi car j’eus peur d’être mê1é dans quelque chose de délicat, mais qui pourtant, était aléatoire.
L’étrangère me serra la main chaleureusement, me demanda ma boisson préférée, puis tira de son sac une lettre qu’elle me remit. Une lueur d’insistance et d’espoir brilla dans ses yeux fatigués. La brise du soir carressait les buissons qui bruissaient. Envahi par l’émotion, j’ouvris la lettre. Larry écrivit en ces termes généraux: Madame Wilson est la maman d’Eric Wilson, son camarade de combat de la même compagnie de la divison Tropical Lightening. Ce jour-là, un jour de l’été 1967, son unité lança un raid contre Củ Chi. La bataille était meurtrière. Il fut bllessé à son pied tandis que Eric le fut à l’estomac. Larry rampait chercher secours mais soudain, il perdit conscience. Ensuite, il fut sauvé par son unité. Quant à Eric, hélas! il fut porté disparu. Après avoir chercher les traces de son fils pendant plus de vingt ans, Mme Wilson a fini par trouver le bout du fil, celui qui a vu son fils tombé sur le champ de bataille. Sachant que Larry a, pendant ces dernières années, entretenu des relations assez étroites avec le Vietnam, elle lui a demandé aide car tous les efforts qu’elle a déployés auprès de son gouvernement n’ont abouti à rien. Bienque lui-même, Larry, se soit démené pour obtenir des renseignements au sujet de Eric chaque fois qu’il est venu au Vietnam, ses propres efforts n’ont pas porté fruit. Et maintenant la présence de Mme Wilson, et l’angoisse est, pour Larry, devenue insupportable. “C’est pourquoi – écrivit-il – de toute façon, je compte sur vous, mes amis vietnamiens”. Et le post-scriptum: toutes les dépenses, Mme Wilson s’en charge.
Après avoir lu la lettre, je demeurai troublé, ne trouvant rien à dire et me contentant de regarder les feuilles de sasa pumilas, séchées et jaunies par le temps, qui tombaient et tapissaient le sol sous mes pieds.
Mme Wilson essaya de sourire, prit une photo qu’elle me montra:
- C’est Eric!
Le jeune homme dans la photo était habillé d’une uniforme militaire américaine et avait sur la tête un calot qu’il portait un peu de travers. Il esquissait un triste sourire. Mme Wilson continua:
- Si Eric était vivant, peut-être aura-t-il l’âge de Mr Quang. N’est-ce pas Mr Quang?
Quang fit signe de sa tête et me donna ces explications:
- C’est tout ce qu’il y a comme donnée. Les camarades chez nous ont tout fait mais sans résultat. Finalement ils pensent que le seul moyen est de faire appel à Mlle Hiển. Je suis confié cette tâche. Et j’ai emmené Mme Wilson à Thái Bình. Après m’avoir entendu, elle a dit: “C’est maigre comme signe. Vraiment c’est difficile.” Mme Wilson est désespérée. Et tout ceci est très délicat. Parce que Mme Wilson peut n’avoir pas confiance à quelqu’un “se nourissait de la nouriture terrestre mais qui peut voir ce qui se produit dans l’au-delà”. D’ailleurs il se peut qu’elle pouvait penser que c’était un bluff! Vraiment je me trouve dans l’embarras et je me suis efforcé de lui expliquer. Après m’avoir entendu et un moment de méditation, elle me dit: “Je crois que dans l’Orient, il est possible qu’il existe des choses occultes. Malgré tout, je suis déjà venue ici. N’importe comment, de la façon la plus incroyable, j’accepterai volontiers. L’important, c’est que je retrouve mon fils. Quant à faire quoi que ce soit, même la manière la plus irrationnelle, j’y attache la moindre importance...” Mlle Hiển écouta ma traduction et après quelques moments de réflexion, elle dit: “On va voir si mes esprits veulent nous aider.” Elle emprunta la photo de Eric, l’a mit sur l’autel de ses esprits, alluma des baguettes d’encens et se mit en prières. Mme Wilson suivit chaque geste de Mlle Hiển, son visage profondément attentif et crispé d’émotions. Après, Mlle Hiển prit dans une assiette antique posée sur l’autel deux sapèques qu’elle jetta trois fois pour lire la volonté des esprits. C’est fait, elle se retourna vers Mme Wilson: “Votre amour maternel a touché Terre et Ciel! Mes esprits me permettent de vous aider. Voici comment j’entends procéder. Cet écrivain américain vous a fait un dessin détaillé du lieu où lui et votre fils sont blessés. Nous voyagerons au Sud et irons à cet endroit-là. Peut-être la chance nous aider à détecter les traces concernant votre fils.” C’est çà la raison pour laquelle Mme Wilson et Mlle Hiển sont présentes ici aujourd’hui...
Je réfléchis un moment et demandai à Quang:
- En quoi puis-je vous être utile?
Quang se mit à rire, confus:
- Je pense... C’est très délicat, tu sais? On a besoin de quelqu’un qui soit connu des autorités locales. Parce que... Vois-tu? Une vieille dame américaine et une voyante vietnamienne, errant par-ci par-là dans les champs... c’est possible qu’il y aura des problèmes... Supposons que la voyante trouve et trouve juste, l’exhumation de la tombe et des restes pour les transporter aux Etats-Unis, tout-çà vraiment ce n’est pas simple, pas simple du tout... Encore faut-il tenir compte des cupides et des opportunistes... Il se peut qu’ils flairent ce qui se fait, ce sera très dangereux. Qui défendra l’amour maternel sacré? Et l’amitié qui s’est tout juste éclose mais qui a déjà engendré entre Larry et nous...
Je regardai Quang, lui sourit en donnant signe d’accord de la tête et me retournai vers Mme Wilson:
- Ne vous inquiétez pas, nous ferons de notre mieux...
Quelques jours après, de bon matin, notre groupe quitta la ville en direction de Củ Chi après avoir entrepris des préparatifs minutieux pour le voyage. Ces jours-ci, il pleuvait sans cesse bien que ce fut seulement au début de la saison des pluies. Des nuages lourds obcurcissaient le soleil d’été tropical. L’air humide souffla à revers en dedans de la voiture. Tout doucement, Mme Wilson monta les vitres. Mlle Hiển avait sa tête posée sur le haut du siège et les yeux mi-clos. Chaque fois que la voiture cahotait, elle s’ouvrit les yeux, me regarda, comme si elle voulait me demander quelle était la distance à parcourir. J’entamai conversation:
- Mlle Hiển, depuis quand vous occupez-vous de ces besognes?
- Seulement depuis quelques années. Depuis l’accident où j’ai failli me faire tuée par un courant électrique. C’est quand l’électricité est venue à notre village. J’en ai jamais connu. Maladroite, j’ai failli être tuée!
Elle sourit et je vis ses yeux devenir tout à coup égarés. Quang, assi au siège de devant, se retourna:
- Mlle Hiển était pendant la guerre membre d’une troupe de Jeunesse de Choc qui construisait un chemin au carrefour Đồng Lộc. A présent, de temps en temps, elle voit et bavarde avec les Dix Jeunes Filles. Selon elle, elles sont toutes devenues Saintes qui, souvent, l’ont aider à sauver ceux qui sont jetés dans le désespoir...
Puis il raconta à Mme Wilson l’histoire de ces dix jeunes filles vierges, bien connues au Vietnam qui, écrasées par les bombes américaines, avaient fait le suprême sacrifice de leur vie quand elles participaient à la construction de cette route pour porter de l’aide au Sud au carrefour Đồng Lộc. Il ne manqua pas de dire à la fin que ces jeunes filles étaient en train d’aider Mlle Hiển à chercher Eric aujourd’hui. Je vis des larmes couler sur les joues de Mme Wilson tout au long de l’histoire.
Arrivés au chef-lieu du district Củ Chi, nous nous arrêtâmes au siège du Comité Populaire pour prendre un cadre, ancien guérilla local qui connaissait bien le lieu et avec qui j’ai réussi à prendre contact par téléphone quelques jours auparavant.
Notre voiture quitta la route nationale et s’avança sur un sentier de terre rouge. Des deux côtés, les rizières s’étendent à perte de vue. Ce fut seulement le début de la saison des pluies, mais déjà les roseaux et herbes sauvages poussaient verdoyants après presque une demi année de sécheresse.
Assi au siège de devant, Sáu Tâm, cadre du district, tenait le dessin de Larry posé sur ses genoux. Il ralentit la voiture et commença à lancer des regards des deux côtés du sentier. La voiture traversa un égout qu’il fit stopper tout d’un coup. Nous en descendîmes. Tâm se mit à observer le champ de rizière, avança quelques centaines de mètres, inclina la tête pour regarder par-ci par-là et mesurer chaque distance autour. Mme Wilson ne laissa échaper aucun de ses gestes. Et dans la lueur de ses yeux, je perçus l’idée qu’elle se fit en ce moment de son cher enfant qui, un matin il y a plus de vingt ans, marchait en range avec ses camarades de combat, fusil en main, vers un petit hameau de là-bas se cachant sous les touffes de sasa pumilas... Brusquement, Tâm recula et se dirigea vers nous qui étions quelque distance en arrière. Il nous interpella, la voix définitive:
- Camarade Minh! Camarade Quang! C’est ici!
Nous courûmes vers lui. Tâm dit, la voix enrouée d’émotion:
- Je suis certain, c’est ici. Les camarades qui se sont combattus contre le raid ont reporté qu’une bataille acharnée s’est déroulée ici. Le dessin de Larry en dit presque la même chose. Et l’égout a été déplacé ces dernières années parce que le cours de l’arroyo a été contourné vers le bas pour se ravitailler de l’eau de l’arroyo Đông. Le vieil égout se trouvait justement ici.
Tâm frappait le sol à coup de pieds comme affirmation. Quang et moi, nous jetâmes des coups d’oeil vers Mlle Hiển. Elle ne souffla mot, sorta doucement une botte de baguettes d’encens de son sorbier en rotin et les alluma. Le jour montait et la chaleur devenait torride. Pas un souffle de brise. Les arbres et les herbes étaient figés dans l’immobilité. Toute la voûte du ciel nous prédit qu’il pouvait avoir une averse le soir.
Hiển élevait haut les baguettes d’encens. Un parfum imperceptif se répandait dans l’air. Hiển fixait l’horizon. Ses yeux s’ouvraient largement. Ses pupilles s’élargissaient tellement que son visage se ressemblait à celui des gens d’autre monde. Je jetais un coup d’œil à Mme Wilson. Son visage aussi devient tout différent. Elle se frémissait légèrement les épaules comme si elle venir de sortir d’un comma... Elle s’avançait et me chuchottait:
- Son visage se ressemble à celui d’une fille virginale.
- Exactement! C’est le visage d’une fille de Đồng Lộc.
Elle acquiesça d’un coup de tête bien résolu.
Subitement, Hiển disait d’une voix qui semblait un écho venu du lointain:
- Je vois Eric. J’ai vu son visage, bien clair... Juste comme celui dans la photo. Pourtant il est plus fin. Sa barbe et ses moutaches poussaient en broussailles. Il a un fusil dans les mains. Et il s’allonge ici...
Elle marchait lentement jusqu’à l’égout, en disant:
- Il s’est levé... Puis il est blessé à son ventre, et il est tombé...
Tout d’un coup, Mme Wilson criait:
- Mon fils! C’est lui! Je le vois, moi aussi!
Elle succomba, pâle comme une morte. Quang et moi, nous nous empressions de l’aider. Elle poussait un cri comme si elle était blesée elle-même:
- Je l’ai vu, mon Eric! Est-ce croyable, mes chers amis?
On l’a répondu en chœur:
- Ah, oui, Madame! On vous croit! On vous croit absolument!
Quant à Hiển, elle restait indifférente à nos regards. Elle se consacra à poursuivre l’ombre qu’elle eut perçue:
- Il est blessé et continuait à se traîner...
Pas un souffle sous le soleil brûlant. Tout d’un coup, la fumée des baguettes d’encens dans la main de Hiển vacillait et se penchait en direction d’en face, du côté des rizières. Puis, ignorant nous tous, elle descendit tout droit dans la rizière, trempée d’une mince couche d’eau où des roseaux et herbes sauvages avaient tout juste poussé et verdi, se laissant conduire par la fumée des baguettes d’encens. Mme Wilson la suivit de près malgré ses souliers. Nous aussi, nous dépêchâmes derrière au cas où elle aura besoin de l’aide. Tout d’un coup, la fumée d’encens s’arrêta net, immobile. Hiển en fit autant, murmurant: “Il est épuisé...” Après un instant, la fumée se mit à flotter de nouveau à l’avant. Hiển reprit sa marche. Mme Wilson et nous, nous la suivîmes, pieds hauts pieds bas, comme si nous étions en train de suivre le sillage du soldat américain qui rampait devant. Alors, je perçus quelque chose d’étrange: la direction prise pour trouver la vie du soldat américain blessé et tombé, était celle conduisant au petit hameau caché dans le bosquet des sasa pumilas, le hameau qu’il était prêt à tirer dessus. Regardant les alentours, l’idée me vint: c’était la direction la plus proche où il y avait des êtres humains!
La marche à travers les rizières était péniple et semblait interminable. Pourtant, Mme Wilson et Hiển, les deux membres du sex faible, dont l’une n’avait aucune expérience de patauger dans des rizières innondées d’eau, se montrèrent beaucoup plus résistantes que nous autres, les hommes. Il y avait une force surnaturelle qui les aidait. A certains moments, la fumée flottante resta assez longtemps, figée pour me faire croire que Eric était là, enseveli sous nos pieds. Rien de la sorte. La fumée d’encens se dirigea de nouveau à l’avant. Hiển et après elle, Mme Wilson, la suivirent malgré la chaleur suffocante et torride qui brûlait l’air au-dessus de leur tête et la vapeur chauffante sous leur pieds qui étaient alourdis et retenus par la boue et les épines des herbes sauvages. Enfin, à bout de force, je levais les yeux: De loin, apparûrent un bosquet de sasa pumilas et pas aussi clairement, une paillotte...
Le dos courbé, nous nous faufilions sous des buissons de sasa pumilas dont les feuilles étaient souples mais pointues et tranchantes et dont les tiges étaient effilées et basses qui s’accrochaient aux épaulettes de l’habit de Mme Wilson. La fumée des encens nous conduisit à un côté d’une petite chaumière. De la chaleur du midi, suffocante et torride, nous entrâmes dans la zone de fraîcheur réconfortante des rangs de sasa pumilas verdoyants. Et je fus heureusement surpris de trouver une vieille femme qui était en train de tresser calmement un panier avec les fibres de sasa pumilas. Elle interrompit son travail, nous regarda, pas moins étonée que nous. Je m’avançai pour la saluer à la façon naturelle et amicale du Sud:
- Bonjour Maman! Vous tressez des paniers?
Elle levait les yeux et me fixait:
- Oui, d’où es-tu venu?
Ses yeux pleins de douceur ne me quittèrent que pour regarder les autres membres de notre groupe. Puis son regard se concentra sur Mme Wilson. Je vis apparaître plus clairement les rides profondes de son visage. Ces rides-là, je les avais vues aussi sur le visage de Mme Wilson, des rides que l’angoisse et la longue et désespérée attente ont plissées et replissées au cours des mois et des années.
La mère se leva, s’essuya les yeux d’un petit mouchoir. Elle demanda, montrant sa bouche édentée:
- Et cette dame, qui est-elle?
Sáu Tâm s’empressa de répondre succintement. Après l’avoir écouté attentivement, elle s’arrêta net et balbutia:
- Entrez, entrez! S’il vous plaît!
Dedans, c’était dénudé. La table, la chaise à peine debout, les pieds vacillants... La tasse à boire était ébréchée... Un autel posait sur le toit d’une armoire, avec un pot de baguettes d’encens et trois photos décoloriées. Et trois certificats “La Patrie reconnaissante...”.
Avec timidité, Mme Wilson montra la photo de Eric et d’une voix émue, s’adressa à la mère pendant que Quang faisait la traduction:
- Madame! C’est ici mon fils. L’avez-vous déjà vu?
Avec des mains tremblantes, la mère reçu la photo et la regarda longuement. Je la vis toute crispée et grelottante. Soudainement, son visage change d’expression. De ses yeux marqués par l’âge, les larmes coulèrent sur ses joues ridées. Mme Wilson s’anima visiblement. Elle balbutia de nouveau sa question, sa voix enrouée d’émotion parce que le désespoir, de plus de vingt ans, fut tout d’un coup, près de fondre:
- Que Dieu soit loué ! L’avez-vous jamais vu?
La mère silencieusement donna signe affirmatif! Mme Wilson trembla de plus belle...
Toujours silencieusement, la mère ouvrit la vieille armoire et en tira une enveloppe en plastique et de laquelle, elle sortit une autre enveloppe, plus petite. Elle prit de la deuxième enveloppe un petit paquet qui était entouré de deux ou trois couches de papier d’où elle prit une plaque et une photo. Toujours silencieusement, les tenant légèrement, elle s’approcha et posa le tout dans les mains de Mme Wilson. Je jetai un coup d’œil rapide à la photo et très vite, je reconnu sans aucun doute, l’image de Eric qui, tout souriant, se faisait photografié avec sa femme tenant un enfant dans les bras! Sur la plaque, étaient inscrits deux mots: ERIC WILSON. Mme Wilson poussa un cri, serra les reliques contre son cœur et s’évanouit.
Un moment après, quand nous tâchions de raviver Mme Wilson, la mère restait assise dans le silence, les larmes continuant à ruisseler sur ses joues. Mme Wilson, sitôt ranimée, la première geste qu’elle fit fut de venir embrasser la mère, son visage baigné de larmes:
- Que Dieu vous bénisse! Parlez-moi de mon fils. Où est-il tombé? Si vous savez, veuillez me montrer. Merci, merci infiniment!
La mère inclina la tête décidément. Mais elle ne dit mot. En silence, elle se leva et s’approcha de l’autel. J’eus l’impression que durant ces dernières minutes, elle avait vieillie de plusieurs années, son dos courbé davantage. Elle prit quelques baguettes d’encens qu’elle alluma. Elle les leva à la hauteur de son front et murmura des prières...
Après, elle fit venir Quang à son côté et lui dit de traduire ses paroles pour Mme Wilson:
- Ici, c’est la photo de mon mari. Il était guérilla, combattant contre les colonalistes français, et tué par eux, dont les dépouilles mortelles sont enterrées au cimetière “Héros de la Guerre”... Et cette photo, c’est celle de mon fils aîné. Il est mort pour la patrie pendant la guerre de résistance contre les agresseurs américains à Tây Ninh. Sa tombe est joliment bâtie et bien soignée par les camarades là-bas.
Mme Wilson écouta la traduction de Quang, s’approcha de l’autel des ancêtres, prit les mains de la mère dans les siennes et fondit en larmes.
La mère descendit la troisième photo, regarda Mme Wilson et dit:
- Lui, c’est mon cadet. Il fut porté disparu dans la guerre. L’avez-vous jamais vu? Connaissez-vous où est sa tombe? Montrez-moi et je vous serais mille fois reconnaissante...
Mme Wilson embrassa bien fort sur son cœur la photo du jeune vietnamien. Une seconde fois, son désespoir éclata en un sanglot...
La mère nous amena après au bosquet des sasa pumilas. Dans la chaleur suffocante du midi, les feuilles de ces plantes, souples et tranchantes, enveloppaient de fraîcheur le petit jardin. Une brise légère souffla. Les branches vacillaient et sautillaient et leur feuilles frissonnaient et murmuraient. Elle conduisit Mme Wilson sous une buisson de vieilles sasa pumilas et lui montra une butte de terre que des feuilles tombées avaient, avec la poussée du temps, tapissée d’une couche épaisse. Une petite pierre servait de pierre tumulaire. La mère de dire:
- Ci-gît Eric. C’est moi-même qui l’ai enterré. Moi seule... Alors, étant mère, je pensais qu’il y aura sûrement un jour où une mère viendrait chercher son fils..
Mme Wilson mordit ses lèvres et serra fortement la mère de Củ Chi contre son cœur. Puis elle tomba, plaquée sur le tapis épais des feuilles qui couvraient complètement la tombe, toute sa personne grelottante par la douleur sans bornes d’une mère.
Longuement après, elle se leva, s’essuya les yeux, et avec embarassement, tira de son sac un bien gros paquet d’argent. Elle demanda à Quang de parler à la mère en sa qualité:
- Je vous remercie infiniment! Donnez-moi la permission de transporter les restes de mon fils hors de ce bosquet...
La mère secoua la tête:
- Les restes de mon fils cadet, je ne les ai pas encore retrouvés. Pourrais-je vous vendre les restes de votre fils?
De ses mains, Mme Wilson essaya de dissiper la méprise possible:
- Non! Non! Ne me méprenez-vous pas, je vous en prie. J’aimerai vous aider à retrouver votre fils.
La mère secoua la tête en silence:
- Je ne l’ai pas encore retrouvé. Mais mon fils est enseveli quelque part dans le sol de mon pays. Il y a certainement quelqu’un pour lui dresser un culte et brûler de l’encens toute l’année pour le repos de son âme. “Qui cultive Bonté et Grâce, laisse à ses enfants la récolte de Grâce et Bonté”. C’est ce que disent nos ancêtres...
Désolée, Mme Wilson se retourna vers Mlle Hiển:
- Voulez-vous accepter ceci. Pour le moment. Comme gage de ma gratitude. Et veuillez aider cette mère à retrouver son fils...
Quand Quang eût fini de traduire, Mlle Hiển sourit et secoua la tête:
- Madame, je le retrouverai si mes esprits me disent que ce soit favorable... Je le fais à cause de ma mère ici. Je ne peux pas accepter de l’argent!
Quang montra la mère Củ Chi et dit à Mme Wilson:
- La seule personne à remercier, c’est notre mère ici... Quant à son fils, il fera corps avec l’âme divine de notre patrie pour venir en aide à l’homme quand il tombe dans la détresse, le désespoir...
Mme Wilson resta perdue pendant un moment. Elle se mit à réfléchir, se mordit les lèvres, mais longtemps ne trouva rien à dire. Après, une fois son calme retrouvé, elle parla d’une voix enrouée d’émotion et pleine de larmes:
- C’est grâce à ce voyage magnifique que je comprends mieux les gens et ce pays. Je comprends maintenant pourquoi vous avez gagné la guerre. Je regrette infiniment que j’ai perdu mon fils. Autrement, je suis certaine qu’il sera un bon ami du Vietnam...
Le soir tombait... Le vent se mit à souffler, annonçant une pluie pour dissiper la chaleur lourde et suffocante. Les sasa pumilas du bosquet se courbèrent, douces et souffles, comme si elles dansaient. Quelques feuilles jaunes et sèches tourbillonnèrent et tombèrent pour couvrir le tapis épais au sol...
Juillet, 1993
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